Par Luc Magoutier et Hadrien Mathoux
Hanover House est au milieu de rien, et au centre de tout. Au milieu de rien, car pour s’y rendre depuis le centre de Londres, il faut enquiller les dizaines de stations que compte la District Line du métro jusqu’au terminus. Puis s’engouffrer dans un Southwest train - sorte de RER local -, avant de descendre à Feltham. Arrivé dans cette bourgade sans âme du sud-ouest de Londres, il reste alors au curieux à sillonner les rues sordides de la zone industrielle avant d’atteindre la fameuse bâtisse. Hanover House, le centre de tout.
Toutes les statistiques imaginables
Derrière la porte du bâtiment se cache Opta. Un nom vaguement familier pour tout amateur de sport : tout simplement l’institut qui collecte, analyse et trie toutes les statistiques possibles et imaginables dans des sports comme le rugby, le cricket… et le football, bien sûr. Que vous tombiez sur le pourcentage de possession du PSG face au FC Barcelone, le nombre de défaites consécutives de votre club favori ou la statistiques de tirs cadrés d’un avant-centre ouzbèk, sachez que tout est stocké ici, à Feltham, entre les murs de la maison-mère d’Opta. Fondée en 1996, l’entreprise anglaise est devenue la référence incontournable de la statistique sportive. Elle fournit des centaines de médias et de clubs, tous avides de savoir-faire en pleine data-mania.
Au centre du réacteur, David Wall. Chief executive d’Opta France, cet expert ès stats navigue entre Londres et Paris pour orienter le travail de la firme. Il nous a ouvert la porte de son entreprise.
Deux rangées d’ordinateurs se font face dans une symétrie presque parfaite. Un silence ininterrompu émane des bureaux d’Opta. Seul le bruit de plusieurs personnes qui tapent sur leurs claviers rompt cette monotonie. Des murmures sont parfois échangés, mais ils ne durent que quelques secondes. Les yeux des analystes sont rivés sur des écrans qui diffusent des matchs en direct. Ce soir, la 23e journée de Premier League anglaise occupe tous les esprits. Il n’y a « que des hommes », regrette un peu Frankie. Mais leur travail requiert une concentration maximale. En direct, il doivent calculer une multitude de statistiques. Il n’y a pas de place pour l’improvisation, pour la mollesse ou l’oisiveté. Pendant un peu plus de 90 minutes, les analystes d’Opta ne regardent pas un match de foot : ils le décortiquent dans ses moindres détails. Possession, tirs, passes, fautes, arrêts : tout y passe. Le jeu devient une succession de chiffres, une séparation de données à entrer dans un logiciel assez complexe.
Le travail d’analyste pour Opta est un labeur de fourmi. Le moindre clic a son importance : par exemple, les fameuses statistiques de possession de balle dont raffole Pep Guardiola sont calculées grâce aux passes enregistrées par les petites mains de Feltham : les transmissions effectuées par les joueurs des deux équipes sont additionnées par le logiciel et permettent de savoir qui monopolise le ballon. Il faut voir les virtuoses du clavier d’Opta reproduire à une vitesse fulgurante chaque action produite sur le terrain : taper le numéro du joueur ayant le ballon sur le papier, suivre sa trajectoire à la trace avec la souris, anticiper le prochain joueur qui va recevoir la balle, décrire la courbe de la passe, ajouter un raccourci clavier pour décrire le type d’action… Pour faciliter la tâche, les analystes suivent souvent la même équipe toute l’année. Leur connaissance parfaite du club assigné leur permet de gagner en rapidité.
Match d’1h30… Puis 3 heures de travail
Chaque décision des analystes passe par plusieurs filtres de vérifications : le fameux checkers screen, qui compare en temps réel les données enregistrées, mais aussi l’analyse post-match : à la fin de chaque rencontre, un troisième larron prend le relais de ces deux prédecesseurs pour revisionner le match et vérifier chaque statistique enregistrée par les analystes. Un travail qui peut prendre deux à trois heures, « si vous êtes bons », rigole Frankie. La qualité du match influe aussi sur la longueur de l’analyse : une équipe d’élite comme le FC Barcelone peut « produire » 1 200 events (passes, dribbles, tirs…) par match. Une équipe au jeu plus direct et moins raffiné n’entreprend que 600 actions environ en 90 minutes. En moyenne, un match comprend un total situé entre 1 500 et 2 000 évènements…
Que l’équipe éditoriale doit ensuite décoder. À Opta, le travail est séparé entre la collecte pure des données, et leur tri, leur interprétation, leur sélection… Pour le championnat de France, le bureau éditorial est situé à Paris, dans le XVIIe arrondissement. Nous avons assisté au match de Ligue 1 Marseille — Montpellier en direct du bureau éditorial d’Opta, avec Damien Shernetsky et Marc Ouahnon. Nous vous proposons de vivre cette rencontre en son !

113 — @BafGomis est désormais le meilleur buteur de Ligue 1 en activité avec 113 buts, à égalité avec Ibrahimovic. Panthère.
— OptaJean (@OptaJean) January 27, 2017
Damien alimente en direct le compte Twitter @OptaJean avec des stats.


« Les données sont utilisées par le bureau éditorial pour les mettre en contexte, en valeur pour ensuite les envoyer vers les médias », analyse David Wall. « Un contact permanent, direct » avec ce client en quête d’analyse statistique rapide et efficace. Ainsi, cette collecte de données, si précise soit-elle, n’est rien sans une éditorialisation subtile pertinente. Trier, regrouper, donner un sens aux statistiques, tel est le but des bureaux basés à Paris ou autre part dans le monde. Les médias ont parfois abreuvé leurs lecteurs ou téléspectateurs de données, sans leur apporter une profondeur nécessaire. Dorénavant, la statistique offre une information et Opta propose une expertise en tentant de trouver une juste équilibre entre quantité et qualité. Une évolution qui montre que l’aspect éditorial n’a jamais été aussi important pour les amateurs de football.